Le partenariat public-privé enfin sur le chemin de la concrétisation ?
Par Bachir El-Khoury | 29/05/2010
Liban - Réformes
Face à l'impuissance financière et à l'inefficacité de l'État, le partenariat public-privé (PPP) s'impose comme une alternative incontournable pour combler les (nombreux) besoins du pays en matière d'infrastructure. Cette formule, largement répandue à travers le monde, a fait récemment l'objet au Liban d'un projet de loi... qui continue toutefois de vagabonder dans les coulisses, en attendant qu'un « consensus politique » lui donne vie.
Dans un pays où l'infrastructure souffre de nombreuses défaillances et où les dépenses d'investissement représentent moins de 5 % du budget de l'État, une loi régissant le partenariat avec le secteur privé (que certains confondent toujours avec la notion de privatisation) devait voir le jour il y a bien longtemps. Ce mode de financement et de gestion des projets de grande envergure, reconnu mondialement comme l'un des modèles de partenariat les plus réussis, a enfin été mis sur les rails au Liban avec la récente élaboration d'un projet de loi.
L'adoption de ce texte risque toutefois de se prolonger face à l'insouciance des uns et aux intérêts des autres, qui y voient une menace à leurs privilèges acquis. Pour éviter qu'il ne subisse le même sort que celui d'autres projets de lois restés lettre morte, certains responsables, dont le ministre d'État Adnane Kassar, ont ainsi multiplié leurs contacts et rencontres au cours des dernières semaines. Dans un entretien exclusif avec L'Orient-Le-Jour, ce dernier a d'ailleurs défendu avec ardeur le partenariat public-privé (PPP), mettant en avant ses principaux avantages sur le plan économique.
OLJ : Quelles sont les principales clauses du projet de loi sur le partenariat public-privé ? Y a-t-il des projets d'infrastructure spécifiques qui y sont mentionnés ?
Si oui, lesquels ?
A.K.: Ce projet de loi vise, avant toute autre chose, à définir un cadre juridique aux relations qui lient le secteur public au secteur privé local ou étranger, et à organiser la coopération entre ces deux secteurs. Aucun projet spécifique n'y est toutefois mentionné, l'étape de sélection des projets devant suivre l'approbation de la mouture finale du texte de loi. Celui-ci fait toutefois allusion, de manière générale, à tous les projets d'infrastructure profitant à l'économie et auxquels le secteur privé peut contribuer à travers le financement, l'installation, la maintenance, la modernisation ou encore la gestion.
La forme d'implication des acteurs privés est en outre clairement définie par le texte qui stipule à cet égard le recours à un contrat de partenariat entre le secteur public et toute entité privée, comportant les conditions d'exécution et autres aspects légaux. Dans ce cadre, le projet de loi a attribué au Haut Comité de privatisation (HCP) la responsabilité d'examiner les propositions de projets envoyées par l'État, préparer les cahiers des charges ainsi que les contrats de partenariat, et superviser le processus de sélection du partenaire et de l'attribution des projets. Le HCP est en outre tenu d'évaluer l'avancée des travaux, en soumettant chaque année au Conseil des ministres des rapports sur l'évolution des projets en cours.
Des projets de partenariat entre les secteurs public et privé existent déjà, même si à petite échelle. Qu'apporte donc de nouveau ce projet ?
En effet, il existe aujourd'hui quelques projets publics dont certains aspects sont délégués au secteur privé. Ces projets, souvent de petite envergure, ne s'inscrivent toutefois dans aucun cadre structuré, d'où leur nombre limité. L'existence d'un cadre régissant le partenariat public-privé (PPP) s'avère donc plus que nécessaire parce qu'il permet, d'abord sur le plan économique, d'attirer un plus grand nombre d'investisseurs et d'exploiter ainsi de manière optimale les capacités du secteur privé, et de répondre ensuite, sur le plan juridique, aux dispositions constitutionnelles. En effet, selon l'article 89 de la Constitution libanaise, « aucune concession, ayant pour objet l'exploitation d'une richesse naturelle du pays ou un service d'utilité publique, ni aucun monopole ne peuvent être accordés qu'en vertu d'une loi et pour un temps limité ».
Il convient de préciser en outre que l'absence de ce cadre, largement répandu à travers le monde et qui a prouvé son efficacité dans plus d'un pays, constitue une faille principale au niveau de la compétitivité du Liban. D'autant plus que plusieurs pays de la région ont dores et déjà avalisé la loi sur le partenariat public-privé, à l'instar de la Jordanie, ou sont sur le point de l'adopter, comme c'est le cas en Syrie, en Égypte ou au Koweït.
Quels sont, à votre avis, les principaux avantages économiques de ce projet ? Dans quels domaines précis le partenariat entre les secteurs public et privé est-il indispensable et pourquoi ?
Sur le plan économique, le partenariat public privé va paver la voie à un plus grand nombre d'investissements dans des projets d'infrastructure, jusque-là relégués au second plan en raison du poids des dépenses courantes et de l'équilibre précaire des finances publiques. Ceci va donc permettre de combler les nombreux besoins du Liban en matière d'infrastructure et de contribuer par la même occasion à une croissance plus soutenue et, par conséquent, à un recul du ratio de la dette au PIB. L'État est aujourd'hui incapable à lui seul d'investir massivement dans ce domaine, d'autant plus que le déficit public ne cesse de se creuser d'année en année. Il ne faut donc surtout pas gaspiller cette occasion, surtout que nous disposons d'un secteur privé solide, caractérisé par l'existence de nombreuses compétences humaines et capable d'injecter des montants importants dans des projets d'investissement vitaux pour l'économie. Encore faut-il rappeler que dans le monde actuel, le secteur privé est considéré comme un pilier indispensable au développement économique et que son rôle s'est largement développé au cours des dernières décennies aussi bien dans les pays développées qu'au sein des économies émergentes.
En ce qui concerne les secteurs-clés où ce partenariat serait d'une grande utilité, je pense notamment aux secteurs de l'énergie traditionnelle et renouvelable, ainsi qu'aux projets de développement hydraulique (construction de barrages, etc.). Je pense aussi au projet d'instauration d'un réseau de transport moderne, qui inclurait une amélioration de l'infrastructure existante et la remise en état de certains réseaux ferroviaires. D'autres projets, liés à l'environnement et à la protection du patrimoine, pourraient également figurer dans la liste.
En termes de bénéfices pour le secteur bancaire, ce projet permettra notamment aux banques d'exploiter l'excès de liquidités dont elles disposent depuis l'éclatement de la crise internationale. Qu'en pensez-vous ?
Tout d'abord, je tiens à préciser que ce projet de loi, qui concerne l'État en premier lieu, a été soumis au Parlement par le député Ali Hassan Khalil, et non par les banques ou autres institutions du secteur privé. Cela dit, les banques libanaises ont aujourd'hui la volonté et la capacité de contribuer au processus de développement économique du pays, notamment après les résultats financiers encourageants qu'elles ont pu réaliser au cours des dix-huit derniers mois en dépit de la crise économique internationale.
Cette résilience unique, combinée à un niveau de liquidités sans précédent, permet en effet aux établissements locaux de développer de manière considérable leur activité d'emprunt.
Le total des actifs bancaires a en effet augmenté de 22 %, frôlant le seuil des 120 milliards de dollars fin mars, tandis que le montant global des crédits accordés aux secteurs privé et public s'élève à près de 60 milliards de dollars. La marge dont les banques disposent est donc assez large pour financer aussi bien les projets publics que les projets privés.
Qu'en est-il du financement des projets d'infrastructure ? Toutes les banques pourront-elles y contribuer ? Existe-t-il des critères de sélection des banques ? Les banques ne sont pas les seules institutions concernées par ce partenariat. N'importe quel agent privé satisfaisant les critères de sélection exigés par le Haut Comité de privatisation, conformément aux lois et aux règles régissant les adjudications des travaux publics, peut devenir partenaire dans un projet quelconque. Ces critères seront clairement indiqués dans la loi. Notre objectif étant de rendre le processus le plus transparent possible pour éviter toute forme de favoritisme, qui se répercuterait négativement sur la productivité et le rendement économique escompté.